Enquêtes

Les campagnols du genre Arvicola : un peu d’ordre dans un grand bazar !

Publié le 12 décembre 2013 par Guénael HALLART, Thomas Hermant

Pour ceux qui n’ont pas pu y assister ou pour ceux qui veulent la revoir, voici la présentation réalisée lors de la "Soirée des naturalistes" de Picardie Nature (le 30/11/13 à Montdidier) sur la situation des campagnols du genre Arvicola en Picardie.


Le genre Arvicola appartient aux Arvicolinés, autrement dit aux Campagnols. Ce sont les plus gros campagnols européens, dépassant 20 cm sans la queue.

Il s’agit d’un genre très complexe en Picardie, plusieurs taxons étant présents dans notre région (on appelle taxon un groupe d’individus présentant des caractères communs, par exemple une sous-espèce, une espèce, un genre, etc.). De plus ces taxons sont très ressemblants les uns les autres morphologiquement, et même écologiquement pour certains, ce qui les rend généralement indifférentiables à la seule vue. La connaissance sur ce genre évolue régulièrement en fonction des études et des moyens d’investigations disponibles.



En Picardie, il n’était question que du Campagnol amphibie Arvicola sapidus dans les écrits antérieurs à 1950. Sur la deuxième moitié du XXème siècle, 2 taxons sont considérés : le Campagnol amphibie et le Campagnol terrestre. Pour ce dernier, 2 formes sont rapidement distinguées : la forme aquatique, à l’écologie proche de celle du Campagnol amphibie, et la forme fouisseuse, couramment appelée « Rat taupier ».
Récemment ces deux formes du Campagnol terrestre ont été élevées au rang d’espèces : Arvicola terrestris correspond désormais à la forme aquatique, la forme fouisseuse s’étant vue renommée Arvicola scherman, le Campagnol de Scherman.

Toutefois la limite morphologique et génétique entre le Campagnol terrestre et le Campagnol de Scherman semble très faible, les rendant presque indifférentiables, à part sur leur écologie.
De même il y a des petites différences d’écologie entre les Campagnols de Scherman de moyenne montagne (Franche-Comté, Auvergne) et ceux observés dans les plaines plus à l’Ouest.
Des changements de taxonomie, de nouvelles séparations ou des regroupements sont encore possibles sur ces « ex-terrestres ».

Concernant la distinction entre le Campagnol amphibie et le Campagnol terrestre aquatique, si elle est difficile à la simple vue, elle ne pose pas de soucis sur la base d’analyses génétiques ou même de micro-mesures après capture (taille du pied...).
Il est admis que les deux espèces se complètent géographiquement :
le Campagnol amphibie dans une très grande partie de la France en partant du sud-ouest et en remontant au nord jusqu’à la Picardie et à l’est jusqu’à la Champagne et la Bourgogne. Le Campagnol terrestre aquatique se trouvant lui uniquement plus au nord et à l’est.



Sur la carte publiée par la SFEPM (Société Française pour l’Étude et la Protection des Mammifères) en 1984, le Campagnol amphibie est donné présent jusque dans le nord de la Somme et dans le nord de l’Aisne. Cependant ces données n’ont pas toutes fait l’objet de captures et les données picardes, comme celles ardennaises, ont été attribuées à A. sapidus en partant simplement de la supposition que la limite entre les deux espèces étaient plus au nord et plus à l’est.



En Picardie, suite aux prospections pour l’atlas national au début des années 2000, faute de captures ou d’analyses génétiques, aucune donnée n’a pu être attribuée avec certitude au Campagnol amphibie.
Dans ces mêmes travaux, ayant donné lieu à une publication en 2004 par Picardie Nature, le Campagnol terrestre et le Campagnol de scherman n’avaient pas encore été séparés.



L’analyse de restes osseux dans les pelotes de rapaces nocturnes ne donne pas non plus de résultats fiables. Les documents disponibles sur le sujet ne prenent en compte que les « formes extrêmes » : le Campagnol amphibie d’une part, et le Campagnol de scherman de moyenne montagne (encore appelé Campagnol terrestre sur les clefs de détermination), bien typé fouisseur, d’autre part. N’y apparaissent donc jamais le Campagnol terrestre aquatique, ni l’éventuel Campagnol de scherman « de plaine » qui serait présent chez nous.



Le Campagnol amphibie et le Campagnol terrestre aquatique forment donc un complexe d’espèces bien distinctes génétiquement et légèrement différentes morphologiquement, mais à l’écologie similaire. Les milieux fréquentés, les indices laissés (réfectoires de jonc, crottiers, terriers...), les typologies d’observation... sont sensiblement les mêmes.
Tous deux sont couramment nommés « Rat d’eau ».



Notre Campagnol de scherman est aussi nommé « Campagnol fouisseur », « Rat taupier », ou plus localement « Quat’dents ».
Son écologie est différente : affranchi du milieu aquatique, on le retrouve surtout dans les jardins à la campagne, les vergers... Il y cause parfois d’importants dégâts sur les racines de jeunes arbres fruitiers, taillés « en crayons », et les plantes potagères (apprécie notamment les betteraves rouges dont il ne mange que la partie souterraine). Il forme des taupinières, théoriquement différentiables de celles de la taupe, mais pas toujours faciles à distinguer dans la réalité.



Le Campagnol amphibie n’est présent qu’en France et dans la péninsule ibérique. De plus ses milieux sont en régression (surpâturage des berges, atrificialisation des berges, assèchements...).
Il souffre également de la compétition avec le Rat musqué et le Ragondin et de la lutte non sélective contre ces derniers.
Son aire de répartition limitée, sa relative rareté, sa régression, et les menaces pesant sur l’espèce ont amené à sa protection nationale en septembre 2012.

Par contre les Campagnols terrestre et de Scherman ne sont eux pas protégés. Le Campagnol de Scherman fait même l’objet d’une lutte par empoisonnement organisée dans certains départements.

Il y a donc un enjeu majeur à connaître plus finement le statut et la répartition de chacune des espèces dans notre région.







Ainsi, s’associant à l’enquête nationale portée par la SFEPM (Société Française pour l’Étude et la Protection des Mammifères), Picardie Nature a mis en œuvre depuis 2012 différents moyens d’acquisition de données sur les Campagnols amphibie / terrestre aquatique, dont :

- l’accueil de deux stagiaires, Simon et Pauline, au cours du printemps 2012,

- l’organisation d’une journée d’étude en juin 2012, suivie de cessions de capture,

- l’acquisition de matériel adapté pour ces captures,

- la prise en charge d’une partie des analyses génétiques, la SFEPM en prenant une autre partie à sa charge.




Les analyses génétiques de poils prélevés lors des captures et de crottes récoltées au cours du stage de Simon et Pauline ont permis de préciser l’espèce présente sur différents secteurs :

- Soissonnais : présence uniquement du Campagnol terrestre sur les affluents de l’Aisne, et présence des deux espèces sur des mêmes secteurs d’affluents de la Marne,

- affluents de la Somme : présence uniquement du Campagnol terrestre.



Nous avons également pu récupérer des données issues de prospections et d’analyses réalisées par le GMN (Groupe Mammalogique Normand) le long de la limite entre la Picardie et la Haute-Normandie :

- Bresle et affluents : présence uniquement du Campagnol terrestre,

- Epte et affluents : présence du Campagnol amphibie uniquement.


D’autres analyses réalisées côté Haute-Normandie confirment cette limite nette entre les deux espèces sur ce secteur.



A partir de ces données il est possible de faire des projections sur la limite entre les deux espèces, avec une marge d’incertitude, principalement dans l’Oise.
La présence des deux espèces sur un même secteur (cas unique en France) sur le bassin versant de la Marne va compliquer l’attribution des données de « simple observation » à l’une ou l’autre des deux espèces.
Un travail d’affinement de la limite serait nécessaire dans l’Oise.




Utilisant l’évolution des connaissances sur la limite entre les deux espèces et prenant en compte l’évolution de la taxonomie de ce groupe, un travail de « reclassement » des données a été effectué sur la base de données "Clicnat" de Picardie Nature, aboutissant à 4 cartographies.
Le classement de ces données est encore susceptible d’évoluer en fonction d’éventuelles futures nouvelles investigations, notamment dans l’Oise, et de l’évolution de la connaissance générale sur ces taxons.



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