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Journal de bord d’une semaine de radiotracking* de Grand murin

Publié le 28 septembre 2021 par Antoine Pudepièce, Lison Gaignon, Vicky LOUIS

*radiotracking : Suivi d’un animal équipé d’un émetteur, à l’aide d’antennes (de toit et à rateau).

Pour préserver la quiétude des maternités de chauves-souris évoquées dans ce journal de bord, les noms des communes mentionnées ont été modifiés.

Du 2 au 9 juillet 2021, bénévoles et salariés du Conservatoire d’Espaces Naturels des Hauts-de-France, de la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis, de la Direction Départementale des Territoires de l’Oise, de l’Office National des Forêts et de Picardie Nature, se sont relayés sur le terrain pour retrouver une maternité* de Grand Murin (Myotis myotis).
En effet, il y a quelques années, une importante maternité de cette espèce était connue dans le comble d’un grand bâtiment sur le territoire du Beauvaisis avec un maximum de 370 individus. En 4 ans, son effectif s’est effondré. En 2016, on ne comptait plus que 30 chauves-souris et aujourd’hui, cette maternité comporte 70 individus. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette chute d’effectif : travaux au sein du bâtiment, météo défavorable, perte de chemins boisés utilisés pour accéder aux terrains de chasse en raison de la création d’une route.

*Maternité : regroupement de femelles afin de mettre au monde et d’élever leur unique petit de l’année.

Vous allez découvrir à travers ce journal de bord, l’organisation d’une telle semaine d’étude.

Cette vidéo vous présente les grandes étapes mises en place durant cette semaine :

Lors des soirées de capture*, chaque individu est sexé et mesuré. Ceci permet d’améliorer les connaissances régionales sur les populations de chauves-souris et leurs terrains de chasse. Lorsqu’une femelle de Grand murin allaitante est capturée, celle-ci est nommée et équipée d’un émetteur de 0,34 g ou 0,60 g en fonction de son poids. Seules les femelles allaitantes sont équipées car très peu de mâles adultes sont présents dans les maternités. Chaque nuit, elles partent chasser plusieurs heures avant de rentrer au gîte pour allaiter leur unique petit. Les suivre permet alors de découvrir la localisation de ces gîtes d’été et de mettre en place des actions de protection de ces lieux indispensables à la préservation de l’espèce.

* Toutes les espèces de chauves-souris sont protégées, seules les personnes ayant une dérogation à la capture et à la manipulation d’espèces protégées peuvent donc mener ces opérations.

Jour 1 (Vendredi 2 juillet 2021) :

Après-midi : C’est aux alentours de 14h, sous le beau soleil picard, que la première équipe arrive. Sa mission est de repérer le site de capture de la soirée et de définir les endroits les plus favorables où installer les filets. Le reste de l’équipe arrive en fin de journée pour partager le premier repas avant de se rendre sur le lieu de capture.

Nuit : Deux postes de captures sont installés pour cette première nuit. En effet, deux personnes présentent la dérogation de capture, une salariée et un bénévole. Quelques minutes après l’installation des filets, la pluie s’invite… Une équipe capture deux pipistrelles qui sont directement relâchées pour ne pas les mettre en difficulté en raison de la météo, puis les filets sont repliés rapidement pour ne pas capturer d’autres individus dans de mauvaises conditions.

Jour 2 (Samedi 3 juillet 2021) :

Après-midi : Après une première nuit de sommeil en décalé et un petit déjeuner copieux, deux équipes sont formées. L’une part en repérage sur le site de capture du soir pour définir les endroits favorables à la pose des filets. L’autre a rendez-vous à Goincourt pour visiter les bâtiments communaux afin d’inventorier les espèces protégées qu’ils peuvent héberger.

Nuit : Une fois encore, deux postes de capture sont mis en place. Au total, 10 filets sont installés pour une longueur totale de 94 mètres. La soirée est plus favorable qu’hier puisque 7 Grands murins sont capturés ! Deux d’entre eux sont équipés et nommés Perette et Ginette. Une fois les émetteurs posés et les 2 femelles relâchées, les quatres binômes de radiotracking se mettent en action. Leur mission : suivre le signal émis par les émetteurs des deux femelles jusqu’à leur gîte, et ce, jusqu’au lever du jour.
Perette se laisse suivre en chasse, au sud du boisement où elle vient d’être capturée. Deux équipes y restent pour suivre son activité. Elle ne bouge de cet endroit qu’à l’approche du lever du jour, 5h, où elle file directement rejoindre sa maternité. Elle est alors retrouvée à plus de 8 km de là, au sein d’une maternité déjà connue à “Acarra” (schéma).
Quant à Ginette, le contact a été très vite perdu. Le Grand murin est une espèce qui peut voler en ligne droite à plus de 40 km/h, ce qui le rend difficile à suivre. Les deux autres équipes l’ont cherchée, en vain, dans les alentours et sont rentrées déçues de ne pas l’avoir retrouvée.

Jour 3 (Dimanche 4 juillet 2021) :

Après-midi : Le radiotracking se poursuit de jour, les troupes sont plus motivées que jamais ! Pendant qu’une équipe va vérifier que Perette est toujours à “Acarra”, les autres équipes se répartissent sur le reste du territoire. Plusieurs dizaines de kilomètres sont parcourus en voiture avec des antennes permettant de rechercher le signal de l’émetteur dans les villages du territoire (en particulier aux alentours des bâtiments favorables à l’espèce). Une fois la confirmation que Perette n’a pas bougé de son gîte, les équipes se concentrent toutes sur la fréquence de l’émetteur de Ginette, encore sans succès...

Nuit : Une nouvelle nuit de capture se déroule, cette fois-ci avec la mise en place d’un seul poste. Le bénévole détenteur de la dérogation de capture ne pouvait être présent que les deux premières nuits et nous le remercions sincèrement pour son aide.
En parallèle de la capture, deux équipes de radiotracking partent en quête d’un contact de Ginette. C’est avec joie qu’elle est repérée dans un vallon situé au nord-ouest du bois où elle a été capturée hier. Son émetteur est toujours en place, nous sommes rassurés. Mais… Une nouvelle fois son contact est perdu à 00h35.
Du côté de l’équipe capture,une nouvelle chauve-souris est équipée : Gromette. Une autre équipe de radiotracking se forme pour se lancer à sa recherche.
Les 3 équipes de radiotracking rentrent au lever du jour sans avoir pu retrouver de contact des deux bêtes.

Jour 4 (Lundi 5 juillet 2021) :

Après-midi : Le radiotracking continue tandis que la fatigue liée au rythme décalé se fait ressentir,… Nous retrouvons Perette, toujours à “Acarra”, et concentrons nos recherches sur Ginette et Gromette. Une autre équipe a rendez-vous à Verderel-lès-Sauqueuses pour prospecter les bâtiments communaux à la recherche d’espèces protégées.
Après 4 heures de radiotracking, les équipes rentrent au gîte, sans avoir eu de contact. La frustration se fait ressentir mais il faut se préparer pour une nouvelle soirée de capture.

Nuit : Cette nuit, toutes les équipes rentrent bredouilles. Aucune chauve-souris n’est équipée au poste de capture.
Quant aux équipes de radiotracking, parties à la recherche de Ginette et Gromette, l’espoir s’essouffle vite. En effet, Ginette est repérée en provenance du sud-est et chasse dans le même vallon qu’hier. Elle y reste une bonne partie de la nuit puis disparaît, comme les nuits précédentes sans que nous puissions la suivre...

Jour 5 (Mardi 6 juillet 2021) :

Après-midi : La fatigue des petites nuits et des grosses journées de travail commence à se faire ressentir... Aujourd’hui, ce sont les bâtiments communaux de Aux Marais qui sont prospectés. Aucune trace de présence de chauve-souris n’a été observée. Dans un même temps, c’est reparti pour une 3ème après-midi de radiotracking. Perette est une nouvelle fois localisée à “Acarra”. Les recherches se concentrent donc sur Gromette et Ginette.
En allant vérifier une maternité déjà connue sur le territoire, le récepteur d’une équipe se met à biper… C’est le signal de l’émetteur de Gromette qui est reçu, dans la direction d’un gîte de Grand murin connu ! Le binôme s’y rend donc directement, mais, une fois sur place… aucun signal en direction du bâtiment…
L’équipe, plus motivée que jamais, retourne alors sur ses pas et recherche plus précisément la direction du signal : il provient de la commune de “Caraby” ! Deux autres équipes arrivent en renfort afin de déterminer précisément le bâtiment qui accueillerait Gromette. Après plusieurs passages d’antennes rateau et prises d’azimut (qui donnent l’orientation du signal) ... nous commençons à rencontrer les riverains. Nous leur expliquons ce que nous faisons et leur demandons s’ils ont déjà vu des chauves-souris.
Au détour d’une conversation, une dame nous emmène à la rencontre de son voisin… Voisin chez qui nous découvrons deux maternités ! Une de Grand murin (Myotis myotis) où le signal de l’émetteur de Gromette est le plus fort et une de Murin de Daubenton (Myotis daubentonii), troisième maternité de cette espèce découverte en Picardie. La maternité de Grand murin est estimée à plus de 300 individus (schéma). L’énergie des troupes est retrouvée et les esprits fatigués s’éveillent à nouveau grâce à cette magnifique découverte ! Nous nous donnons rendez-vous le soir même pour tenter de trouver les entrées et sorties de gîte utilisées par ces mammifères volants.
Quant à Ginette, aucun signal n’est capté…

Nuit : Ce soir, l’objectif de la sortie de gîte n’est pas atteint, seule une sortie majoritaire potentielle est identifiée. Mais nous reviendrons demain pour déterminer précisément ces entrées et sorties.
En parallèle, la soirée de capture débute. Cette nouvelle nuit est très riche puisque quatres demoiselles de la nuit sont équipées, Dupette, Lucette, Francette et Poulette.
Concernant les équipes de radiotracking, cela n’est pas aussi simple. Très peu de contacts ont lieu avec les chauves-souris durant la nuit… Mais vers 3h30, un contact est reçu de l’émetteur de Poulette ! Vers 4h30, la chauve-souris file vers l’est. Aussitôt une équipe se met en chasse et la poursuit jusqu’à “Trabata”, dans une maternité déjà connue. La motivation de l’équipe ne s’est pas essoufflée durant la nuit et malgré l’heure très matinale. A 5h15, le duo se donne alors pour mission la vérification des gîtes connus.
Il commence alors par le gîte découvert cet après-midi. Gromette y est toujours. Mais elle n’est pas seule ! Lucette et Dupette, capturées il y a quelques heures, s’y trouvent aussi. Et, à la surprise générale, un signal de l’émetteur de Ginette y est aussi perçu ! La demoiselle est donc retrouvée après trois jours de recherches intenses à environ 9 km de sa zone de capture (schéma).
Extrait d’un vocal enregistré au moment de la découverte de tous ces individus à "Caraby" :

MP3 - 521.5 ko

Concernant Perette, elle se plaît toujours à “Acarra” !
6 heures du matin passées, chacun retrouve son lit et s’endort ravi de ces résultats…

Jour 6 (Mercredi 7 juillet 2021) :

Après-midi : Les gîtes ayant été vérifiés ce matin, les recherches se concentrent sur Francette, seule femelle qui n’a pas été retrouvée durant la nuit … sans succès. En parallèle, les bâtiments publics de la commune de Rainvillers sont prospectés.

Nuit : Nous sommes de retour à “Caraby” pour accomplir notre objectif d’identification des sorties utilisées par les chauves-souris. Ce soir, c’est la bonne ! La sortie principale est déterminée avec 340 Grands murins.
Au même moment, une nuit de capture commence à quelques kilomètres de là, sur le même site que vendredi dernier, où la météo ne nous avait pas permis de capturer dans de bonnes conditions. Peu de chauves-souris sont capturées ce soir … nous espérons avoir plus de chance demain.

Jour 7 (Jeudi 8 juillet 2021) :

Après-midi : Les équipes commencent par vérifier les gîtes connus. Perette est toujours présente à “Acarra”. Étonnamment, celui de “Trabata” est vide, on s’attendait à y retrouver Poulette qui y était présente hier. Quant à Ginette, Gromette, Francette et Lucette, elles se trouvent dans le gîte de “Caraby” (schéma).
Une fois l’appel effectué, on se rend compte que Dupette et Poulette ont disparu des radars. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela, parmi lesquelles la perte ou le dysfonctionnement de leurs émetteurs, ou le fait qu’elles se trouvent dans un ou plusieurs autre(s) gîte(s) que l’on ne connaît pas.
A l’heure actuelle, toutes les chauves-souris équipées ont été captées dans un gîte au moins une fois !

Nuit : Une nuit de capture se déroule sur un nouveau site avec pour objectif d’améliorer les connaissances dans le cadre de l’atlas des mammifères Hauts-de-France. Trois espèces de chauves-souris sont capturées et identifiées cette nuit.
De bon matin, de retour de cette soirée de capture, chacun se retrouve autour d’un verre pour fêter les découvertes et clore cette semaine d’étude.

Quel avenir pour la maternité découverte ?
Des discussions sont en cours entre les propriétaires et les acteurs de la préservation de l’environnement pour trouver le meilleur moyen de protéger la maternité de Grand murin et d’accompagner les propriétaires dans le réaménagement et l’entretien du site sur le long terme.

Un grand merci à toutes les personnes qui ont pris part à cette semaine d’étude : Albane, Aloïs, Antoine, Aurélien, Clarence, Coline, Damien, Jan, Jean-Luc, José, Julien, Lison, Lucie, Ludivine, Ludivine, Manon, Marion, Mehdi, Paul, Sarah, Sophie, Thomas, Valentin, Véronique, Vicky, Victor, Vincent et Yoan.

Rédaction : Lison Gaignon, Vicky Louis et Antoine Pudepièce


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